Cheffe de la direction et partenaire fondatrice de bicom, agence spécialisée en marketing d’influence et en relations publiques, Vicky Boudreau se demande pourquoi certains PDG se retrouvent régulièrement dans les médias pour parler de sujets qui ne sont pas nécessairement dans leur domaine d’expertise. Ont-ils l’idée derrière la tête de se lancer un jour en politique ? Lors d’une conférence à Vision PDG, le grand rassemblement organisé par l’Association québécoise des technologies (AQT), elle a approfondi la notion de PDG influenceurs. Or, elle-même utilise beaucoup LinkedIn et s’intéresse au nombre de gens qui consulte ses écrits.
La jeune femme est née et a grandi à Havre-Saint-Pierre, à 8 h de route à l’est de Québec, dans une famille aimante. Sa mère, professeure de français, lui a inculqué l’amour de la culture et son père, qui travaillait dans une mine, rêvait de devenir pêcheur. Pour y arriver, il a commencé à travailler comme inspecteur de bateau. Alors qu’il était en déplacement en Gaspésie, il s’est aperçu que les Japonais s’intéressaient au crabe, qu’on appelle araignée des mers dans son coin de pays. En revenant chez lui, il a commencé à construire son bateau. « Mais son rêve a tourné au cauchemar, se souvient la PDG de bicom. Les taux d’intérêt ont grimpé à 19 % et les Japonais n’étaient pas encore arrivés à Havre-Saint-Pierre. Mon père s’est mis à acheter les permis de pêche des homardiers. »
Vicky Boudreau a appris à compter en voyant son père négocier avec le patron de l’usine de transformation. Comme elle s’étonnait qu’il négociât des 25 cents, il lui a expliqué que 25 cents sur une livre représente des milliers de dollars sur des centaines de livres. Son père a été la première personne qui lui a donné le goût d’entreprendre ; elle y voyait un lien avec la liberté. Très jeune, elle rêvait de la grande ville. En voyant les lumières des usines de Sept-Îles au loin la nuit, elle disait à sa mère : « Ça, c’est New York et un jour, je vais y aller ». Elle a fait un crochet par l’Italie avant de déménager à Montréal. New York serait pour plus tard. En 2006, elle fonde avec Marie-Noelle Hamelin sa première entreprise de marketing avec comme clients des entreprises locales. Rapidement, elles se font remarquer par de grandes marques comme Gap et Johnson & Johnson. Elles commencent aussi à habiller Marie-Mai alors que celle-ci fait ses débuts à « Star Académie ».
« Nous nous sommes installées dans le Mile-End avant que ce soit cool, puis Ubisoft est arrivé dans le quartier et notre loyer a augmenté. Nous avons lancé bicom Properties et avons acheté notre premier immeuble sur la Plaza St-Hubert. »
À ce moment-là, elle commence à s’intéresser aux réseaux sociaux. Un jour, la déléguée générale du Québec à New York, Catherine Loubier, l’invite à donner une conférence. Vicky Boudreau se souvient clairement du moment où elle est arrivée dans les bureaux de Délégation générale du Québec, située 26e étage du 1, Rockefeller Plaza. Lorsque la porte de l’ascenseur s’est ouverte, elle a vu une carte du Québec avec, en évidence, Havre-Saint-Pierre. « C’est là que je me suis rendu compte que j’étais la première PDG influenceuse », dit-elle. Et, comme tout est dans tout, bicom a signé son premier bail à New York en 2022. Récemment, bicom a lancé un nouveau projet qui s’intéresse plus particulièrement aux nano-influenceurs, incubé chez Zú. « Je me suis fait le cadeau, pour mes 40 ans, de me lancer dans une nouvelle industrie », commente-t-elle.
En fait, le marketing d’influence existe depuis toujours, note la cofondatrice de bicom. Puis, un jour, quelqu’un a commencé à faire de l’argent avec le concept. Aujourd’hui, l’industrie des influenceurs pèse 15 milliards $. Signes des temps, les influenceurs italiens sont en voie de se syndiquer, alors qu’en France, des poursuites ont été intentées contre certains d’entre eux pour escroqueries. Certains influenceurs ont des agents, d’autres non et ils se déclinent de méga à nano. Les méga influenceurs comptent plus d’un million d’abonnés et sont généralement de grandes célébrités, les macro-influenceurs possèdent une communauté allant de 100 000 à un million de personnes ; on y trouve des leaders d’opinion, alors que les micro-influenceurs comptent entre 3000 et 20 000 adeptes. Les nano influenceurs sont suivis par moins de 10 000 abonnés, cependant, leur communauté se révèle souvent beaucoup plus engagée.
« Le plus grand défi pour les gens de marketing est de trouver les meilleurs influenceurs, indique Vicky Boudreau. Les gens commencent à se méfier des influenceurs. Des femmes blondes, blanches qui font du fitness, il y a en a beaucoup ! Or, l’entourage des nano leur fait beaucoup plus confiance. »
Leurs recommandations ont dix fois plus d’impact, leurs contenus s’avèrent authentiques et plus engagés. Ce sont ceux en technologie qui ont les meilleurs scores.
Le phénomène des influenceurs se trouve lié à la pop culture. On se souvient qu’au début des années 1990, les top modèles étaient très populaires. Aujourd’hui, peu de gens pourraient nommer trois top modèles. Dans les années 2000, on a assisté à l’arrivée des chefs célèbres, commençant avec Jamie Oliver. Le Québec n’a pas tardé, alors que Marilou, Stefano Faita et même Julie Snyder ont commencé à vendre leurs produits. On a aussi vu l’arrivée des PDG rockstars, Elon Musk, Steve Jobs ou encore Richard Branson. C’était aussi l’époque des biographies de ceux-ci. Sont arrivées ensuite les « girl bosses ». Au Québec, la première fut Danièle Henkel, qui a fait sa marque à l’émission « Dans l’oeil du dragon », suivie par Christiane Germain et Caroline Néron.
« Les lignes ont commencé à se mêler, raconte Vicky Boudreau. Les influenceurs ont lancé leurs propres entreprises. Kim Kardashian vaut 1,7 milliard $US. Jessika Dénommée a lancé sa ligne de sous-vêtements après sa participation à « Occupation Double ». Aujourd’hui, on compte même des influenceurs virtuels, dont la Québécoise Lia27, qui siège au conseil d’administration de son entreprise et qui en possède même des parts. L’avantage est qu’on n’a même pas besoin de leur envoyer des produits ! »
Mais quels sont les avantages pour les PDG de devenir influenceurs ? Cela peut amener de la confiance et de la loyauté de la part des clients et des employés, note la spécialiste, mais aussi de la notoriété et, donc, des ventes. Vicky Boudreau utilise d’ailleurs LinkedIn pour vendre. Elle a décroché le contrat de The Walt Disney Studios Canada en envoyant un message par ce réseau un soir en pyjama. « J’ai directement contacté le VP de Disney à Toronto, raconte-t-elle. Il faut oser écrire directement aux PDG. » Elle conseille en outre aux PDG de raconter leur histoire.
Mais il peut aussi y avoir des revers. Ainsi, lorsque Sophie Brochu a annoncé qu’elle quittait Hydro-Québec, la perception de l’organisation en a pris un coup dans le public et on a ressenti un certain inconfort.
« Les PDG peuvent avoir des opinions tranchées, explique Vicky Boudreau. Il est bon de se faire relire. Il faut aussi faire attention à la perception qu’on dégage. Les gens vivent souvent leur meilleure vie en ligne. »
La spécialiste en marketing suggère de ne pas trop afficher de photos pendant de luxueuses vacances. Il faut aussi définir ses objectifs. Pourquoi un PDG veut-il devenir influenceur. Il reste aussi important de créer du contenu, par exemple en ouvrant son agenda. Il faut cultiver ses réseaux et, dans la mesure du possible, suivre ses employés et interagir avec eux sur les réseaux sociaux. Il importe enfin d’utiliser sa voix.