Associé fondateur de la firme de conseil en gestion de projet Talsom et chroniqueur au journal Les Affaires, Olivier Laquinte s’intéresse à la mouvance environnement, social et gouvernance (ESG). L’Association québécoise des technologies (AQT) l’a invité à en discuter lors de l’événement annuel Vision PDG et il a commencé par remettre les pendules à l’heure en matière d’environnement.
Neuf processus limites remettent en cause la stabilité de la biosphère : le changement climatique, celui dont on parle le plus, mais aussi l’érosion de la biodiversité, la perturbation des cycles biogéochimiques de l’azote et du phosphore, les changements d’utilisation des sols, l’acidification des océans, l’utilisation mondiale de l’eau, l’appauvrissement de la couche d’ozone stratosphérique, l’introduction d’entités nouvelles dans l’environnement (pollution chimique) et l’augmentation des aérosols dans l’atmosphère.
« La bonne nouvelle touche la couche d’ozone, note le PDG de Talsom. Dans les années 1980, on parlait beaucoup du trou de la couche d’ozone. Or celui-ci s’est rebouché. Pour les autres limites, il ne faut pas attendre et on doit être proactif. »
Les entreprises ont un rôle à jouer sur les enjeux de l’environnement, affirme Olivier Laquinte, particulièrement en ce qui a trait aux données. Ces dernières s’avèrent importantes en matière de cybersécurité, tout comme le sociétal a créé un environnement plus inclusif, par exemple avec la mise en place de normes pour la navigation en ligne des personnes malvoyantes et malentendantes. Pendant la pandémie, les entreprises se sont autocongratulées : en utilisant les plateformes comme Zoom, elles réduisaient les gaz à effet de serre générés par les voitures. « C’est vrai que cela fait partie de la solution, note-t-il. Mais cela soulève aussi des problèmes. »
En effet, on a souvent une vision linéaire de ce qu’est Internet, on ne pense pas à tous les appareils et à leur fabrication. Pour construire ces appareils, cela prend des usines et énormément de matières premières, et plus précisément l’équivalent d’un ours, soit 140 kilos de matières. Or, la collecte de celles-ci pose aussi d’importants enjeux, créant des désastres écologiques et humains dans certaines régions du monde, notamment en Afrique, où des enfants se voient forcés de travailler dans des mines où les conditions de travail demeurent désastreuses. Dans plusieurs régions du monde, des gens vivent d’ailleurs près de dépotoirs d’appareils informatiques.
« C’est une triste réalité », souligne Olivier Laquinte. Le secteur des technologies génère 4 % des gaz à effet de serre de la planète, soit la même chose que le transport aérien. Et on sait que ce secteur se trouve en augmentation. Il faut en prendre conscience, les pressions sociales vont nous rattraper. »
Les dirigeants d’entreprises technologiques doivent se réguler et changer leurs façons de faire. Dans ce domaine, l’Europe se trouve en avance, ayant rendu obligatoire la divulgation extrafinancière pour contraindre les grandes entreprises à rendre public leur impact sur la planète. Cette même obligation arrivera bientôt aux États-Unis et le Canada suivra.
L’Europe est allée plus loin en obligeant les fabricants de téléphones intelligents à adopter des recharges USB-C d’ici 2024. Outre la réduction des déchets, cette politique européenne va aussi alléger le poids économique des ménages européens. Un peu partout dans le monde, les grands groupes ont commencé à assainir leurs portefeuilles. « Ce n’est pas vrai que le volet environnemental se retrouve sur le top de leurs priorités, reconnaît le PDG de Talstom. Avant, il y a les enjeux de main-d’œuvre, d’inflation et de récession, mais il faut commencer à y penser. » On définit le bilan carbone par les scopes 1, 2 et 3. Le scope 1 regroupe les émissions de gaz à effet de serre directement liées à la fabrication du produit, le scope 2 les émissions indirectes liées aux consommations énergétiques et le scope 3 les autres émissions indirectes, ce qui comprend l’approvisionnement et les déplacements. Or, 75 % des émissions de gaz à effet de serre relèvent du scope 3. « Comme dit Daniel Charron, le vice-président Engagement sociétal et affaires publiques de Fondaction, on est toujours le scope 3 de quelqu’un », indique-t-il.
En 2022, Ivanhoé Cambridge a annoncé vouloir réduire de 55 % l’empreinte carbone de ses actifs montréalais d’ici 2030, mais, comme le souligne Olivier Laquinte, Ivanhoé Cambridge ne fait rien de concret, l’entreprise se concentrant sur les investissements. Ce sont donc les entreprises de son portefeuille qui vont écoper. Desjardins s’est aussi donné comme objectif d’être carboneutre d’ici 2040 et cela va se faire à travers sa chaîne d’approvisionnement. La BCD offre déjà des points aux entreprises B Corp.
Sans être obligés de se lancer dans des certifications B Corp ou autres, les PDG doivent d’abord commencer par avoir des discussions, croit Olivier Laquinte, regarder leurs chaînes d’approvisionnement ou encore voir où se trouvent leurs serveurs. Aller vers une sobriété énergétique peut demander des gestes simples : garder les ordinateurs portables des entreprises plus longtemps ou faire des économies dans la consommation des services numériques. Pour le spécialiste, qui dit inclusion dit aussi éducation.
« La technologie se trouve partout, on l’utilise tout le temps, avance-t-il. Aplanir la courbe va prendre d’énormes efforts. On peut réagir et se responsabiliser en tant qu’entreprise, mais aussi comme entrepreneurs et leaders. On se trouve encore dans l’image de l’entrepreneur qui possède beaucoup, des voitures, des maisons… Cela a impact sur le message qu’on envoie à nos équipes. »
Olivier Laquinte cite le personnage d’Uncle Ben dans « Spider-Man » : « Avec de grands pouvoirs viennent de grandes responsabilités ». « Il faut en parler, cela aura un effet multiplicateur. Il faut penser à la responsabilité numérique des entreprises, mais aussi à la responsabilité des individus », conclut-il en proposant deux ressources : la conférence TedTalk de l’économiste Kate Raworth « A healthy economy should be designed to thrive, not grow » et la bande dessinée « Le monde sans fin », de Jean-Marc Jancovici, Christophe Blain et Clémence Sapin.