Pour son balado sur l’innovation et la productivité, organisé en collaboration avec Investissement Québec, l’Association québécoise des technologies (AQT) a invité Anaïs Berzi, présidente-directrice générale de Hotello, société derrière le logiciel de gestion hôtelière, et Gilles Pepin, PDG de HumanWare, entreprise qui développe des solutions technologiques pour la basse vision et la cécité, à discuter de leur réalité. L’entretien était animé par Marc Lapointe, DGA de l’AQT.
L’innovation apparaît tout d’abord nécessaire pour combler les besoins primaires des clients, explique Anaïs Berzi. Elle préconise l’empathie ainsi que l’écoute des clients, mais aussi de l’équipe. « La technologie est un outil puissant qui nous permet d’innover, mais on ne peut pas prétendre que l’innovation passe nécessairement par la technologie », dit-elle. La technologie avance de façon très rapide et ce qui peut sembler une innovation à un moment précis peut être désuet rapidement. Ainsi, en cinq ans, on est passé des cartes bancaires à bande magnétique aux cartes à puce, puis au paiement virtuel avec un téléphone, à la reconnaissance faciale. Avant d’adopter une technologie, il faut donc voir la valeur de celle-ci pour les clients.
L’innovation a toujours été le moteur de croissance de HumanWare, souligne son PDG. L’entreprise a survécu grâce à l’innovation. Pour les personnes atteintes de déficience visuelle, les avancements technologiques représentent de grandes avancées. « Avant, elles devaient se faire lire les documents, aujourd’hui, elles peuvent lire par elles-mêmes grâce aux applications OCR (NDLR : Optical Character Recognition) et la synthèse vocale, note Gilles Pepin. Aujourd’hui, les personnes malvoyantes peuvent se déplacer de façon autonome grâce au GPS et, bientôt, l’intelligence artificielle. »
D’un autre côté, la technologie peut aussi être une barrière pour les personnes malvoyantes, car lorsqu’une technologie sort, elle n’est pas nécessairement adaptée aux besoins particuliers. Gilles Pepin donne en exemple l’arrivée du Web, qui a exclu une partie de la population. « Notre job est de trouver des façons de briser les barrières et les tourner en occasions. » Les grands compétiteurs de HumanWare demeurent les Apple et Samsung de ce monde, qui arrivent constamment avec des nouveautés. Mais, les personnes malvoyantes ne représentent que 2 à 3 % de leur clientèle, alors qu’elles comptent pour 100 % des clients de HumanWare. L’entreprise doit donc arriver avec des fonctionnalités qui vont se démarquer des produits grand public.
Lorsqu’on innove en permanence, il arrive qu’on lance des projets qui ne verront jamais le jour. « J’ai un background en design, donc je valide les idées et je regarde l’adhésion des clients avant d’aller plus loin, note Anaïs Berzi. En essayant d’être productif, on se fie à ce que le client veut et il faut montrer au client ce que le produit va être. Les besoins qu’expriment les clients ne sont pas nécessairement leurs besoins réels. » La PDG de Hotello utilise la vieille bonne méthode de la boucle : itération, consultation, correction.
La pandémie a durement frappé l’industrie du tourisme et le secteur risque d’être le dernier à s’en remettre, sans doute pas avant 2024. « Comme dit souvent une collègue, ce qui ne nous tue pas nous rend plus forts, raconte la PDG de Hotello. Nous avons traversé plusieurs crises et celle-ci est très inconfortable. S’adapter ne veut pas dire nécessairement changer. On ne peut pas offrir de nouvelles solutions quand personne ne se trouve à l’accueil de l’hôtel. » L’entreprise a donc renforcé ce qu’elle faisait déjà bien et corrigé ce qu’elle faisait mal. Pendant la crise sanitaire, l’entreprise a revu ses infrastructures, modernisé ses solutions et automatisé ses processus.
Chez HumanWare, lorsque les entreprises ont dû fermer le 13 mars 2020, l’organisation en télétravail s’est faite très rapidement. Déjà elle permettait le télétravail, donc les outils étaient déjà disponibles. « Les gens à la maison travaillent plus fort et décrochent moins, note Gilles Pepin. Nous leur disons de prendre le temps de décrocher et de prendre soin de leur santé mentale. Je n’ai aucune crainte quant à la productivité des employés. Par contre, pour les clients, c’est autre chose. » Les jeunes du primaire, du secondaire, du collégial et de l’université vivant avec une déficience visuelle se sont trouvés face à un mur important lorsqu’ils ont dû rentrer chez eux. Pour Gilles Pepin, cela a permis au système de réaliser l’importance des outils technologiques pour ces étudiants.
Le déconfinement soulève beaucoup d’incertitudes chez HumanWare. La seule certitude est que ce ne sera plus jamais pareil, aux yeux de Gilles Pepin. Les employés vont continuer de travailler à la maison. Par contre, il s’inquiète du désengagement des employés face à la mission de l’entreprise. Avec le confinement, les discussions impromptues qui permettaient d’initier des idées se sont arrêtées. Il faut trouver de nouvelles façons de faire fuser les idées. « Quand on regarde le marché, on voit qu’il évolue très rapidement et nos outils vont continuer à être utilisés », conclut-il.
Anaïs Berzi invite de son côté les gens à retourner dans les hôtels comme elle-même, sa famille et ses amis l’ont fait l’été dernier. Hotello doit être prêt à l’ouverture des hôtels partout à travers le monde. « Les clients ont eu le temps de prendre du recul, ils ont beaucoup de bonnes idées et nous allons les suivre, dit-elle. Mais, pour nous, c’est la culture de notre entreprise qui a été le plus affectée. »