Fondateur de l’agence de stratégie Perrier Jablonski, enseignant à HEC Montréal, Gaëtan Namouric a travaillé pendant 11 ans chez Bleublancrouge et, auparavant, a passé 5 ans comme directeur créatif chez Apple. Lors d’une présentation au Big Bang, événement organisé par l’Association québécoise des technologies (AQT), il a remué la cage des participants en leur affirmant « ce que vous avez à dire n’intéresse personne », car, quand on a une histoire à raconter, on est obsédé par cette histoire.
« Quand on raconte une histoire, on pense que les gens vont tout retenir, lance-t-il. Le paradoxe est que ce que vous avez à dire n’intéresse personne et que vous, vous êtes passionné par votre sujet. Mais les gens ont autre chose à faire. »
D’un autre côté, les gens sont contents de vous voir. Pour illustrer cela, le fondateur de Perrier Jablonski prend en exemple le documentaire de l’humoriste français Gad Elmaleh qui, dans son documentaire « Gad Elmaleh, ten minutes in America », raconte que Woody Allen avait voulu le rassurer en lui disant que les gens qui vont dans des comedy clubs ont envie de rire. Ils viennent de payer une gardienne pour les enfants, ont fait une heure de route, ont marché trois coins de rue sous la pluie pour arriver au club. La dernière chose dont ils ont envie c’est de s’ennuyer.
Le pitch est un mouvement, estime le conférencier : il faut persuader, révéler et convaincre. Il faut monter, mais aussi redescendre sur le plancher.
« Les gens en face de vous veulent rêver et avoir des réponses, dit-il. Tous les gens en face de vous sont influencés par une dizaine de choses, il faut donc se préparer à son auditoire. »
Gaëtan Namouric reprend la pyramide de Maslow, avec, à la base, les besoins physiologiques, suivis des besoins de sécurité, d’appartenance, d’estime et d’accomplissement. Et, à ses yeux, c’est dommage, car Maslow n’a jamais parlé de pyramide ; l’homme a écrit plusieurs choses en tant que psychologue et psychologue du travail. Il existe des besoins, mais aussi des motivations, estime Gaëtan Namouric. Il y a également le désir d’apprendre et de comprendre, le besoin d’esthétique, d’harmonie.
« Nous sommes motivés par des valeurs universelles comme la beauté, dit-il. Oui, il existe des besoins de sécurité et d’appartenance, mais les gens sont aussi influencés par leur parcours. »
Lorsque l’on fait un achat, comme une voiture par exemple, on vit d’abord une période de latence, le moment où on ne sait même pas qu’on veut acheter un véhicule, mais pendant lequel on écoute ce qui se dit autour de nous. Puis vient l’étape du pré-achat, suivie de l’achat et du post-achat. Selon Google, il existe 900 points de contacts entre le pré-achat et l’achat. Le post-achat devient la latence de quelqu’un d’autre.
« Se préparer au parcours nous rend un peu plus intelligent, avance Gaëtan Namouric. C’est un peu la même chose quand vous parlez devant un public : il faut que les gens aient entendu parler de vous. La latence, c’est le lancement du pitch. Il existe sept phases de préoccupations et on n’est pas tous égaux face au changement. »
Lorsque l’on rentre un nouveau meuble chez soi, tous les autres meubles vont devoir bouger, illustre-t-il. Il se passe la même chose dans une organisation. Si on prend l’exemple de l’ouverture d’un bureau à New York, certains n’auront aucune préoccupation ; d’autres se demanderont comment cela va les affecter ; d’autres se montrent davantage tournés vers l’organisation ; d’autres encore sur le changement ; des employés pourraient se centrer sur leurs compétences (faut-il apprendre l’anglais ?) ; certains seront centrés sur la collaboration ; et, enfin, d’autres sur l’amélioration et c’est là qu’on se trouve dans une entreprise apprenante selon l’expert.
Un pitch, cela se prépare à chaque étape et cela fait souvent peur aux gens, il faut donc les accompagner. Gaëtan Namouric parle de « Stakeholder Analysis », l’analyse des parties prenantes consiste à identifier ces personnes avant le début du projet, à les regrouper en fonction de leur niveau de participation, d’intérêt et d’influence dans le projet, et enfin à déterminer la meilleure façon d’impliquer et de communiquer avec chacun de ces groupes de parties prenantes tout au long du projet.
« Votre job, c’est d’informer, de rassurer et d’éduquer. dit-il. L’erreur est de penser que c’est vous qui comptez alors que les gens sont intéressés par leurs besoins. Il faut donc faire ses devoirs. Il s’avère important de savoir ce que vous faites là. »
Et, scoop, les gens font semblant de comprendre ; il faudrait donc les aborder comme un enfant de quatre ans en restant simple, en répétant, en répétant, en répétant, d’autant plus que les gens magasinent des personnes plus intelligentes qu’eux. On parle souvent de storytelling, un terme que Gaëtan Namouric préfère ne pas trop utiliser, même s’il reconnaît qu’on a besoin d’histoires pour vivre. En 1944, Heider et Simmel ont réalisé une expérience d’animation où se croisent des formes géométriques. Cette expérience toute simple a démontré que le récit demeure irrépressible et qu’on l’interprète toujours avec sa propre histoire. Donc mieux vaut contrôler sa propre histoire. « Coca Cola n’a pas inventé le Père Noël », lance le conférencier.
Il existe une histoire des histoires, Sara Graça da Silva et Jamshid J. Tehrani ont d’ailleurs réalisé une généalogie des histoires pour découvrir qu’on se raconte les mêmes histoires de génération en génération.
« Mais, pour survivre, une histoire doit s’adapter à son époque, note le fondateur de Perrier Jablonski. D’ailleurs, Disney n’a pas adapté au cinéma « Le Petit Poucet », dans lequel des enfants se font manger par leur père ogre. Et si on prend les versions plus anciennes de « La Belle au bois dormant », un roi viole la jeune fille six fois et elle enfante six fois avant de se réveiller. »
Preuve s’il en est que les récits doivent survivre à leur époque, mais aussi aux valeurs de l’entreprise, comme l’inclusion et la diversité, qui permettent d’écrire un récit collectif.
L’histoire doit être forte et contributive, poursuit Gaëtan Namouric et il faut prendre le point de vue de l’usager avec une structure classique :
Comme exemple de récit bien construit, le conférencier mentionne la marque de voiture Volvo qui, depuis toujours, vante la sécurité de ses véhicules et qui, en 2012, visait dorénavant le zéro tué, zéro blessé dans ses voitures à l’horizon 2020. La conviction de la marque repose sur le fait que la technologie peut et doit aider à atteindre ces objectifs. Mais quelle est sa crédibilité ? C’est Volvo qui a inventé la ceinture de sécurité à trois points pour les femmes. La marque a aussi lancé l’initiative E.V.A, pour Equal Vehicle for All (véhicule égal pour tous), femmes, enfants, cyclistes, piétons… « Leur crédo demeure la sécurité, souligne Gaëtan Namouric. Volvo ne parle que de sécurité dans ses publicités. Dans tout cela, on recherche de la cohérence. » Le plus ironique de l’histoire ? Volvo arrive en troisième position du classement de l’Insurance Institute for Highway Safety (IIHS), derrière Hyundai et Volkswagen. Mais, de cela, la marque suédoise ne parle jamais.
Gaëtan Namouric a aussi parlé de La Nuit des Olympica, dont il a tiré un article de la revue Gestion HEC de novembre 2019, ainsi que du livre de Michel Bonefoy « L’inventeur ». Et, pour terminer, le conférencier a donné quelques conseils. Dans un bon pitch, il faut insérer une image mentale, ne pas entrer en compétition avec ses diapos, écrire son document pour une personne TDA/H, mais aussi de façon responsive. Et enfin : « À force de le faire, vous allez « rocker », alors faites-le avec plaisir », conclut-il.