Par Éric Ouimet
Le 16 juillet dernier, la Cour de justice de l’Union européenne a rendu une décision attendue dans l’affaire de Facebook Ireland Ltd. v. Maximillian Schrems, invalidant le Bouclier de protection des données sur le transfert de données personnelles de l’Union européenne vers les États-Unis.
Danielle Miller Olofsson est coauteure du présent article.
Régissant les transferts de données entre l’Union européenne (« UE ») et les États-Unis, le Bouclier de protection des données de l’Union européenne – États-Unis (« BPD ») prévoyait un mécanisme afin que les entreprises des États-Unis et de l’UE se conforment aux exigences de protection des données lors de leurs transferts.
L’importance du BPD est telle qu’en son absence, les entreprises américaines transférant des données à partir de l’UE devront désormais mettre en place divers mécanismes, par exemple, des règles d’entreprise contraignantes ou des clauses types de protection des données (« Clauses types ») afin de garantir que les données personnelles traitées aux États-Unis bénéficient des mêmes protections que celles prévues par le Règlement général de protection des données de l’Europe (« RGPD »).
Selon le RGPD, les entreprises doivent adopter et se conformer à une série de mesures de protection de données comparables à celles de l’Europe, à moins qu’un pays bénéficie d’un statut d’adéquation, c’est-à-dire que la Commission européenne (la « Commission ») ait rendu une décision confirmant que le pays a des lois de protection de données similaires à celles de l’UE, donc adéquates. Jusqu’à présent, le BPD était une forme d’accommodement, puisque les États-Unis n’avaient pas obtenu un statut d’adéquation, contrairement au Canada.
Le 16 juillet, la Cour de justice de l’Union européenne (« CJUE ») a invalidé le BPD, plongeant ainsi les entreprises américaines dans une grande incertitude quant au transfert de données personnelles à partir de l’UE. Cet arrêt peut être interprété comme un avertissement pour le Canada dont le statut d’adéquation doit être renouvelé.
En 2013, l’Autrichien Maximillian Schrems introduit une demande contre Facebook Irlande pour bloquer le transfert de données de l’UE à Facebook États-Unis où celles-ci étaient traitées. Il y invoque qu’une fois les données aux États-Unis, elles ne bénéficient pas d’une protection suffisante contre des accès par des autorités publiques américaines. En 2015, la CJUE, à qui la High Court of Ireland avait référé l’affaire, renverse la décision de la Commission (la « Safe Harbour Decision »), affirmant que les modalités alors existantes pour le transfert entre l’UE et les États-Unis sont adéquates. Facebook réagit alors en adoptant des Clauses types selon lesquelles il lui était permis de transférer des données de l’UE vers les États-Unis. Ces Clauses types furent approuvées par la Commission. Les États-Unis et l’UE se sont ensuite entendus quant au BPD afin de faciliter le transfert de données entre les États-Unis et l’UE, entente approuvée par la Commission en 2016.
La présente affaire Facebook Ireland Ltd. v. Maximillian Schrem (« Schrems ») fait suite à une demande reformulée par ce dernier afin de bloquer le transfert de données par Facebook à partir de l’UE vers les États-Unis, puisque ces données ne sont pas, dans le cadre du BPD, adéquatement protégées à l’encontre des autorités publiques américaines. Cette demande a été référée à la CJUE par la High Court of Ireland afin de déterminer les questions suivantes :
L’arrêt Schrems confirme essentiellement la décision de la Commission qui accepte le transfert de données par le biais de Clauses types, mais annule la décision de la Commission validant le BPD. La CJUE affirme que l’accès par les autorités publiques américaines aux données de non-résidents américains n’est pas circonscrit de la même façon que le RGPD, c’est-à-dire sujet à une forme de proportionnalité limitant l’accès par des règles claires et précises. Elle affirme également que le mécanisme de médiation prévu par le BPD (« Ombudsman mecanism ») n’accorde pas de protection adéquate aux individus qui voudraient faire valoir leurs droits.
Cette décision édicte également ce qui suit :
Comme indiqué, l’arrêt Schrems plonge les entreprises américaines dans une grande incertitude quant à leurs transferts de données à partir de l’Europe, puisqu’elles ne bénéficient plus de la protection qui leur était accordée par le BPD. L’arrêt impose également un fardeau important aux entités de l’UE qui transfèrent des données vers des pays qui ne bénéficient pas d’un statut d’adéquation. Ces entités devront dorénavant examiner à la loupe les Clauses types qui sont en place eu égard aux lois de la juridiction où les données sont transférées afin de s’assurer que ses lois permettent le respect des protections prévues dans ces clauses.
Jusqu’à ce jour, les entreprises canadiennes sujettes à la Loi sur la protection des renseignements personnels et les documents électroniques (la « LPRPDE », aussi connue sous l’acronyme anglophone PIPEDA) ont été en mesure de bénéficier du statut d’adéquation du Canada relativement aux transferts de données de l’UE. Une des plus grandes faiblesses de la LPRPDE est son modèle de médiation en vertu duquel un individu peut déposer une plainte au Commissaire à la vie privée (« CVP ») alors que ce dernier ne dispose toutefois que d’un pouvoir de recommandation pour remédier à une violation. En effet, le CVP n’a aucun pouvoir coercitif et, ce faisant, ne peut protéger les droits d’un individu de la même façon que le RGPD. Cette lacune et bien d’autres de la LPRPDE seront-elles suffisantes pour révoquer le statut d’adéquation du Canada dans l’éventualité où la législation canadienne ne soit pas bientôt amendée?
Pour les entreprises sujettes à la Loi sur la protection des renseignements personnels dans le secteur privé du Québec, l’arrêt Schrems doit servir d’avertissement. En effet, cette loi a déjà été jugée inadéquate par un comité consultatif de la Commission en 2014. Si le projet de loi 64, qui propose des modifications substantielles à cette loi afin de la rendre conforme au RGPD, n’est pas adopté rapidement, les entreprises québécoises n’auront d’autre choix que d’adopter des Clauses types ou autres mécanismes onéreux afin de continuer à recevoir des données provenant de l’UE.
La décision Schrems a une très grande incidence sur les entreprises américaines qui transfèrent des données de l’UE. Elle illustre à quel point l’UE est sérieuse dans sa démarche pour faire reconnaître ses règles de protection des données, même de façon extraterritoriale. Ainsi, les entreprises canadiennes qui transfèrent des données de l’Europe ne devraient pas tenir pour acquis que le statut d’adéquation actuel du Canada et la LPRPDE les protégeront. Elles devraient plutôt commencer à considérer l’adoption de Clauses types afin de protéger de tels transferts de données.
Source de l’article : https://www.bcf.ca/fr/intelligence-d-affaires/2020/quelles-sont-les-implications-de-la-decision-invalidant-le-bouclier-de-protection-des-donnees-ue-etats-unis-sur-votre-entreprise