Par : Frédéric Letendre, avocat chez YULEX, avocats et stratèges
En ce début de printemps où plusieurs indicateurs économiques pointent vers une relance, nous voulions partager avec vous quelques réflexions en matière de propriété intellectuelle, de droit d’auteur et de licences. C’est une décision de la Cour d’appel du Québec en faveur d’un entrepreneur aguerri (Druide informatique inc. – « Druide »)[1] qui nous a inspiré ce qui suit.
Le but de ce billet n’est pas de faire une analyse juridique de ces décisions – ce qui serait assez ennuyant. L’objectif est plutôt de réfléchir à comment mieux protéger votre propriété intellectuelle.
Pendant plus de dix ans, Druide et Les éditions Québec Amérique inc. (« QA ») furent des partenaires stratégiques notamment pour la promotion croisée de leur logiciel respectif, la participation conjointe à des salons du livre au Québec, la publication de dictionnaires et la distribution de logiciels. Certaines de ces ententes étaient écrites et d’autres n’étaient que verbales, dont celles relatives au partage de contenus et au déploiement des interfaces le Visuel Nano et le Visuel intégré. Ces dernières portaient essentiellement sur des éléments de droit d’auteur.
Pour diverses raisons, au début des années 2010, les relations se sont dégradées au point de devoir croiser le fer à plusieurs reprises devant les tribunaux jusqu’en 2020.
Druide et QA ne sont pas différentes de la plupart des PME que nous opérons et côtoyons chez YULEX. Lorsque la confiance est établie ou qu’il s’agit d’une entente relativement simple, les gens s’entendent souvent verbalement. Évidemment, dans un monde idéal, les contrats, ententes et autres types d’accords seraient faits par écrit… mais nous ne vivons malheureusement pas dans ce monde où les licornes dansent sous les arcs-en-ciel.
Cette histoire aurait très bien pu être la vôtre.
Pour mémoire, les œuvres de droits d’auteur prennent toutes sortes de formes : logiciel, jingle, photo, image animée ou non, croquis, logo, chiffrier, base de données, texte, vidéo, plan… Vous en détenez, développez ou utilisez tous dans vos produits et services, dans vos communications, votre marketing, vos pitchs…
Les œuvres de droit d’auteur sont protégées dès leur création dans près de 180 pays, et ce, sans besoin de les enregistrer. Cependant, les modalités d’attribution de la propriété et des formes de cessions ou licences sont propres à chaque pays.
Vous développez une application en partie à l’interne avec vos employés et en partie en Inde ou en Russie par des développeurs que vous payez rubis sur l’ongle. Une œuvre de droit d’auteur, le code, est ainsi créée et protégée à travers le monde. Cependant, avec ces seuls faits, nous ne pouvons dire si vous êtes propriétaire de tout le code.
Le Canada requiert un contrat écrit et signé par le titulaire des droits (généralement l’auteur ou le propriétaire) dans le code (sous-traitants, actionnaires, agences…) pour qu’il y ait cession du code. Par contre, les employés cèdent leurs droits à l’employeur automatiquement.
Les USA ont une variante qui se nomme le Work for Hire et qui comporte toutes sortes de conditions. Qu’en est-il de la Russie ou l’Inde; êtes-vous propriétaire de votre app?
Cette réponse est drôlement importante notamment lorsque vous désirez prouver la propriété de votre app lors d’un financement. Ou, comme dans un récent cas sur lequel nous avons travaillé, lorsque le fisc désire « requalifier », vos contrats avec vos clients: licence ou cession?
Précisons que, même si la Loi sur le droit d’auteur date de près d’un siècle, la cession n’a pas besoin d’être écrite sur du papyrus et signée avec une plume et de l’encre. La loi et la jurisprudence reconnaissent qu’un tel écrit et sa signature peuvent généralement être sous forme électronique (courriels, télécopieurs, messagerie…).
De même, au Canada, lorsqu’une licence exclusive est octroyée, elle doit être également constatée par écrit et signée par le titulaire des droits. La licence exclusive est résumée par la Cour suprême du Canada en terme assez claire :
« (…) Il y a licence exclusive (…) lorsque les conditions suivantes sont remplies :
a) le titulaire du droit d’auteur (le concédant) permet à une autre personne (le licencié) d’accomplir un acte visé par ce droit d’auteur;
b) le concédant promet de ne pas donner cette permission à quelqu’un d’autre pendant la durée de la licence;
c) le concédant lui-même promet que, pendant la durée de la licence, il n’accomplira pas les actes qu’il autorise le licencié à accomplir (…)»[2]
Par exemple, vous pourriez vouloir octroyer à un tiers énormément de droits pour qu’il « s’occupe » d’un territoire et le développe en exclusivité. Vous pourriez vouloir ainsi lui offrir l’exclusivité de production, reproduction ou communication de vos logiciels ou autres contenus sur un territoire donné, pendant une période plus ou moins longue, avec ou sans option. Cette exclusivité lui permettrait même de poursuivre en justice, sur son territoire, toute personne qui enfreindrait les droits décrits dans la licence. Pour ce faire, il doit y avoir un écrit signé par vous et vous devez vous engager à ne pas vous-même exploiter les droits octroyés sur ce territoire.
Si ces conditions ne sont pas respectées, il n’y aura pas de licence exclusive en vertu du droit canadien. La valeur concurrentielle ou stratégique de cette licence pourrait en être grandement affectée.
Vous porterez une attention particulière à la version anglaise d’une telle licence. En effet, en anglais les termes exclusive license et sole license sont souvent utilisés pour définir, en français, une licence exclusive. Or, ces deux termes, bien que conceptuellement proches, comportent une différence importante : la portée de l’exclusivité. Ces deux types de licences interdisent au titulaire d’octroyer les mêmes droits que ceux de la licence exclusive à d’autres que le licencié exclusif. Cependant, il est généralement reconnu que le terme sole license permet au titulaire d’exploiter les mêmes droits que le licencié exclusif (territoire, durée, etc.). Pour sa part, l’exclusive license interdit au titulaire d’octroyé d’exploiter les mêmes droits que le licencié exclusif. Si l’intention est d’offrir tous les droits de la licence exclusive de la Loi sur le droit d’auteur vous opterez donc pour l’exclusive et non pour la sole.
Afin d’éviter tout imbroglio, il faudra éviter de prévoir que la licence est sole and exclusive – expression que nous retrouvons encore trop souvent.
Vous l’aurez compris, l’affaire Druide porte sur une entente verbale. Il est donc question d’une licence non exclusive.
La licence non exclusive peut effectivement être verbale. Non seulement peut-elle être verbale, mais elle pourrait également être présumée ou implicite. Ainsi, de manière très simplifiée, les agissements d’une partie laissant croire à une autre qu’elle a le droit d’utiliser un logiciel, des photos ou autres contenus pourraient être assimilés à une licence. Nous traiterons de ce sujet plus en détail dans un autre billet de blogue.
Le litige opposant Druide à QA ne portait pas sur l’exclusivité ou non de la licence, mais plutôt sur la portée de celle-ci (versions d’Antidote incluses ou non dans la licence) ainsi que la durée de la licence (durée illimitée ou indéterminée).
Nos dernières réflexions porteront justement sur les commentaires des juges à l’égard de la durée des contrats, dont les licences. La cour commente trois types de durées possibles pour les contrats : perpétuelle, déterminée ou indéterminée.
Dans la réalité, la durée d’un contrat va être une variante de l’un et/ou l’autre de ces types avec plus ou moins de conditions qui y sont rattachées.
Le contrat à durée perpétuelle (ou illimitée) est assez rare. En effet, ce type de contrat permet à une partie de bénéficier des avantages du contrat (p. ex. une licence) sans que l’autre partie puisse y mettre fin (sauf, notamment, cas de faute grave). Ce type de contrat pourrait, théoriquement, courir sur plusieurs générations. En matière de propriété intellectuelle, même si le contrat prévoit une durée perpétuelle, il serait relativement limité dans le temps, car les droits de propriété intellectuelle ont eux-mêmes une durée limitée (p. ex. au Canada, le droit d’auteur est protégé pendant la vie de l’auteur plus 50 ans; après, l’œuvre « tombe » dans le domaine public). À l’inverse, le droit d’usage d’un terrain pourrait durer 2-3 siècles. Nous ne recommandons généralement pas d’utiliser les durées perpétuelles ou illimitées dans les contrats.
Le contrat à durée indéterminée s’apparente un peu au précédent puisque nous ne connaissons pas non plus la date de fin exacte. Cependant, contrairement au précédent contrat, il est possible de mettre fin à un contrat à durée indéterminée pour toutes sortes de raisons prévues ou non. Il est notamment possible de mettre un terme à ce contrat en donnant un préavis à l’autre partie même si ce n’est pas prévu au contrat. C’est une des questions qui opposait Druide à AQ. La loi ne nous indique pas précisément ce qu’est un délai raisonnable. La jurisprudence nous indique que ce préavis doit être raisonnable dans le contexte : complexité de la relation, temps pour remplacer le produit ou le service, valeur économique, etc. Nous recommandons à nos clients de déjà prévoir dans le contrat un préavis réaliste qui sera requis pour mettre fin au contrat (30 jours, 3 mois, un événement, etc.). Ainsi, il n’y aura pas de mauvaise surprise en cours de route.
Le contrat à durée déterminée a l’avantage (ou le désavantage) de prévoir une date de fin connue. Les parties ne pourront pas mettre fin à ce contrat avant l’arrivée du terme. Ainsi, lorsque c’est pertinent, il peut être avisé de prévoir des options de renouvellement ou d’autres conditions du genre en cas de succès. De plus, si une partie décidait de mettre fin à ce type de contrat avant la fin du terme, celle-ci pourrait s’exposer à devoir payer à l’autre des dommages importants ou faire l’objet de procédures d’injonction (c.-à-d. un ordre de la cour de faire ou ne pas faire quelque chose).
Voilà! Nous espérons que cette lecture vous aura fait réfléchir.
Nous sommes tous Druide.
[1] Druide Informatique inc. c. Éditions Québec Amérique inc., 2020 QCCA 1197. |
[2] Euro-Excellence Inc. c. Kraft Canada Inc., 2007 CSC 37, paragr. 26
Source de l’article : https://yulex.ca/nous-sommes-tous-druide-conseils-en-matiere-de-propriete-intellectuelle/